Hervé Bentata : "La Voix de Sirène. D'une incarnation habituelle de la voix maternelle"

Je me propose aujourd'hui d'aborder la question de la Voix et de la pulsion invocante, telle que Lacan la nomme. Et pour faire travailler cette question, je vais me montrer moins scientifique mais plus récréatif. En effet, pour évoquer cet "être mythique" de la pulsion, mon chemin suivra moins le logos qui a déjà eu toute sa place dans ces journées, que justement la voie du mythos. Je vous convie à suivre Ulysse dans son antique périple et dans sa rencontre avec le fabuleux de la Voix. En effet, Homère, dans l'Odyssée, nous conte la rencontre d'Ulysse avec les Sirènes, et le pouvoir mortifère de leur chant. Si, comme nous le dit Lacan dans Télévision, "le mythe, c'est... la tentative de donner forme épique à ce qui opère de la structure", alors quelle consistance, et quels enseignements l'Odyssée peut-elle apporter aux psychanalystes sur la voix et sa pulsion ? C'est que ce pouvoir de capture irrésistible sur autrui de la voix des Sirènes nous intéresse en tant que cliniciens, ne serait-ce qu'à voir comment les enfants autistes se détournent de la présence d'autrui, et notamment de la voix humaine. Comment comprendre ce pouvoir d'un côté de si grande d'attraction, et de l'autre de si grande répulsion de la voix humaine ? S'agit-il d'effets opposés résultant d'une même pulsion, comme un aimant peut, à l'égard de son objet, provoquer tout à la fois attraction et répulsion, simplement en inversant son champ ?

I. La voix des sirènes

Venons-en d'abord à la Voix comme objet de la pulsion invocante. Les occurrences et les développements concernant la "pulsion invocante" sont à ma connaissance peu fréquents chez Lacan, même s'il semble lui accorder de l'importance. Dans les Séminaires elle apparaît deux fois quand il traite de la pulsion, et une fois dans le Séminaire 24 [l'Insuccès...] au cours de l'exposé d'Alain Didier Weil (1) sur la question de la musique, de l'auditeur et de sa jouissance. Les indications que Lacan nous donne concernent d'abord sa nomination comme telle à côté de la pulsion scopique: "j'ajoute, nous dit-il, la pulsion scopique et celle qu'il faudrait presque appeler la pulsion invocante," qui a, rajoute-t-il "... ce privilège de ne pas pouvoir se fermer" (2). Cette dernière indication paraît d'ailleurs contradictoire avec ce qu'il vient de préciser du troisième temps de la pulsion, donc de son bouclage, à savoir: "... Après le "se faire voir", j'en amènerai un autre, le "se faire entendre" dont [Freud] ne nous parle même pas." Il rajoute: "...je vous indique cette différence qu'il y a [avec le] se faire voir.. en marquant que le 'se faire entendre' va vers l'autre, si le 'se faire voir' va vers le sujet" (3).

C'est ainsi dire, me semble-t-il, surtout que dans le 'se faire voir' c'est toujours moi qui me montre, alors que dans le 'se faire entendre' c'est toujours l'autre qui m'écoute. Une telle façon de construire cette pulsion promeut, en fait, à côté du regard pour la pulsion scopique, l'écoute plutôt que la voix comme objet de la pulsion invocante. Seul Alain Didier Weil semble avoir perçu cette dualité de l'objet quand il parle du "circuit pulsionnel... [qui] serait quelque chose de l'ordre de la pulsion invocante et de son retournement en pulsion d'écoute" (4).

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